Smiling through te pain - Charlie Gardner

« Quand j'y pense, tu étais minuscule déjà bébé. Un vrai poids plume. Tes tout petits doigts faisaient pas le tour des miens haha. »

« Papa ! C'est super gênant là !»

La vieille Jones est ravie de voir ce jeune homme plein de vie. La petite querelle familiale l'amuse beaucoup. Elle n'aurait jamais cru vivre assez longtemps pour y assister. Comme toutes les femmes, elle a été victime d'un terrible virus. Elle a passé des années alitée, mais Dieu a eu pitié de sa belle âme. Enfin c'est ce qu'elle aime penser. Elle est faible et tremblante, mais elle a survécu. Elle s'aide d'une canne (et du soutien de son mari) pour faire cette sortie de l'année, en cette fête religieuse. Elle une héroïne pour la paroisse. Une miraculée.

Ça n'a malheureusement pas été le cas pour madame Gardner qui, elle, a succombé comme bon nombre d'autres. Elle avait toujours été fragile, avoir deux enfants l'a épuisée mais elle savait qu'elle en voulait à tout prix. Le premier, Charlie, est né plus petit et léger que la moyenne. Le second, Sam, trois ans plus tard (le temps de se remettre du premier) est quant à lui né prématurément mais a grandi pour devenir un jeune homme en pleine santé. Il est d'ailleurs plus grand et plus épais que son aîné aujourd'hui.

« Oh mais c'est que tu étais mignon quand tu rampais sous les bancs parce qu'on avait décroché nos yeux une seconde de toi pour écouter le pasteur.

- Oui oui et j'ai toujours été souriant bla bla bla… Je gazouillais mais je pleurais jamais. On connaît tous l'histoire papa. Tu radotes. Faut changer de disque tu sais ?

- Oui oui. Mais est-ce que je vous ai déjà raconté la fois où tu as fais tomber du chocolat et que//

- OUI. »

Charlie préférerait oublier cette histoire de la fameuse "cocochine partout par terre". Il soupire ostensiblement alors que la personne âgée assistant à toute cette scène de ménage rit doucement.

Cela fait un bout de temps que le culte est terminé mais chacun reste un peu dans le temple protestant pour partager diverses anecdotes et autres vœux pour les fêtes de fin d'année. Charlie n'est pas aussi pratiquant que ses parents ou grand-parents sur le plan religieux. Il est d'ailleurs plus athé qu'autre chose, mais accompagner son père au culte de Noël n'est absolument pas un problème. L'idée d'une religion qui rassemble les Hommes lui semble d'ailleurs plutôt belle. Quand on y pense tout ça c'est une grande idée d'amour et de paix à la base. Il n'y a que l'interprétation des textes par certains qui est problématique à ses yeux.

Il est bien heureux d'avoir une famille croyante mais ouverte d'esprit. L'homosexualité n'y est pas tabou. Tout croyant ne partage pas l'idée de l'institution. Enfin cela n'empêche pas le père Gardner de vouloir un fils viril et non "efféminé", c'est assez paradoxal. Trouve-toi un homme ou une femme, je m'en fiche mais il faut que tu portes la culotte. C'est ça l'idée.

Enfant, Charlie n'avait pas autant ce rôle de fils avec un grand F. C'était le petit trésor, le bébé d'amour. Sa mère était douce avec lui, son père était complètement gaga. Il chérissait autant sa femme et son enfant. Après son décès par contre, il a eu énormément de peine à ne pas la voir dans l'aîné grandissant. Charlie lui ressemblait de plus en plus, et c'était difficile à encaisser pour son pauvre petit cœur. C'est sûrement de là que vient son discours sur la virilité. S'il-te-plaît arrête de lui ressembler, serait une traduction plus appropriée. Il n'a jamais vraiment réussi à faire le deuil de sa dulcinée.

Il est bloqué dans une sorte de nostalgie du temps où la famille était soit disant complète. Enfin, Sam lui n'a aucune idée d'à quoi son père fait référence dans sa nostalgie constante. Sa mère est décédée juste après sa naissance. Même pour Charlie c'est difficile de comprendre complètement. 3 ans c'est peu. Trop peu. Il ne se rappelle que très vaguement de cette époque. Mais il en connaît toutes  les histoires de son père par cœur à force.

« … Et la fois où tu as tiré sur sa jupe pour t'aider à te mettre sur tes deux pieds alors qu'elle cuisinait. C'était franchement trop drôle hahaha ! Sur un pantalon ça va mais là hahaha Elle a rien pu faire !»

Charlie ne sait même plus quoi dire à ce stade là. Il a le père le plus embarrassant du monde. Et dire qu'il est sobre en ce moment. Alcoolisé c'est pire, ça commence à parler vomi et couches.

On pourrait pas parler d'autre chose ?

« Oh, ou quand avec ton cousin vous avez soufflé dans le tuyau d'arrosage alors que l'autre bout était dans l'arrosoir … »

...

Charlie préférait encore le sujet précédent. Il faut dire que leur relation est… Elle n'est plus ce qu'elle était. Et c'est de sa faute. Sa seule et unique faute. Il a détruit cette relation. Mais quel abruti. Son esprit croule sous la culpabilité et son père ne le sait pas.

« Ils étaient comme des frères. Ils en ont fait des bêtises, petits. Hein poussin ? »

« Ouais… »

S'en suit un petit rire de malaise.

C'est vrai. Ils se complétaient plutôt bien. Thomas l'introverti et Charlie l'extraverti. L'enfant dodu et la brindille. En grandissant ils étaient un peu comme des meilleurs amis d'enfance. Des confidents aussi. Ils s'aimaient pour ce qu'ils étaient. Jamais l'un n'a pu juger l'autre, pourquoi-donc le faire ? Quelle idée.

Mais l'adolescence arrive et avec elle les crises identitaires, le changement, le stress du regard des autres… Charlie n'a jamais eu de problème à s'intégrer dans ses classes, à se faire des amis. Après tout, il est souriant et gentil comme tout. Ses cheveux longs ont même été cool temporairement. Après tout, c'est ce qu'on pouvait voir sur les groupes émos trop "stylés" en ce temps là. Il a toujours entendu des blagues sur le fait qu'il ressemble à une fille mais, qui aime bien châtie bien paraît-il.

Il ne sait pas trop comment il a fini parmi les gamins "populaires". Probablement grâce aux devoirs qu'il a prêté aux autres (faut dire qu'au collège il était plutôt brillant) et grâce à sa capacité à se fondre dans son environnement. Ses amis aiment cet artiste ? Alors il l'aimera soit-disant aussi. Il était passif, un suiveur. Il ne faudrait pas les décevoir.

Le lycée ? La même chose. Lui qui se calque à l'image de ce qu'on veut de lui. Après tout, tous ces gens sont ses amis non ? Il n'y a donc pas de mal à vouloir leur plaire. Quitte à fermer les yeux sur des choses. Beaucoup de choses. Trop de choses.

Ils sont jeunes, ils ne sont pas vraiment méchants, non ? Ce ne sont que des taquineries un peu trop poussées, non ? Il ne le pensent pas vraiment, non ?

Mensonge. Mensonge. MENSONGE. Si. Si. SI.
Ils étaient d'horribles personnes. Ils n'étaient pas des amis. C'est juste que tu étais dans leur bon papiers parce que tu as agis pour l'être !

Il aurait dû agir. Il aurait dû les arrêter. Il aurait du sortir de son silence, de sa passivité. IL AURAIT DÛ. Le garçon populaire ce n'était pas lui. Cela ne l'a jamais été. La seule personne qui le connaissait et qui était un véritable ami… C'était son cousin. Cousin qu'il a vu de moins en moins, qu'il a évité de confronter, qu'il a abandonné. Charlie est un lâche. Il a été égoïste. Par peur de décevoir d'autres gens, il a trahit sa famille. Mais où donc était son sens des priorités ?

Il s'est longtemps voilé la face mais maintenant il le sait ! Mais maintenant… C'est trop tard. Maintenant il essaie d'embrasser qui il est vraiment mais c'est trop tard pour cela. Il s'est enfoncé dans un monde de fausses apparences. Il s'est mis tout seul dans cette situation. Heureusement que Sam ne l'a pas pris en exemple à cette époque. Charlie est terrorisé à l'idée de décevoir sa famille après ce qu'il a fait à son cousin.

Il a vu son cousin couvert de bleus à plusieurs reprises. Il s'est véritablement inquiété pour lui. Quand il a disparu de la circulation au lycée du jour au lendemain… Ça a été un choc. Et si… si il avait fait l'impensable ? A ce moment-là, Charlie a pris conscience qu'il devait arrêter cette mascarade. Mais peureux et honteux comme il était, il n'a pas trouvé le courage d'aller vérifier l'état de son cousin. C'est son père qui a dû tirer les vers du nez de son oncle qui franchement… ne les a pas vraiment aidé. Quel genre de père ne se soucie pas de son enfant. "Il est juste malade". C'est tout ce qu'ils ont su. Charlie lui, a imaginé tous les pires scénarios. Il est persuadé que son cousin a essayé de mettre fin à ses jours. Il n'osera pourtant jamais aller le revoir. Vérifier ses soupçons serait confirmer qu'il a blessé profondément sa famille. Son cousin a tout bonnement disparu à la fin de cette année. En même temps, c'était sa dernière à lui.

Mais grâce à sa prise de conscience, Charlie s'est graduellement éloigné de son groupe de fréquentations initial. Il a trouvé des nouveaux amis en joignant le club théâtre et de là est née une passion incroyable. Là il a trouvé des gens qui l'aiment pour ce qu'il est. Il a continué tout le long de ses années restantes du lycée. Il a essayé d'oublier.

« J'me demande quand-même ce qu'il est devenu le petiot. Tu sais toi ?

- Il est a Niflheim aussi. Je crois qu'il fait une fac de psycho mais j'en sais pas plus. On a perdu contact tu sais.

- Tu l'as jamais vu sur le campus ?

- Euh… non. »

Encore un mensonge pour faire tiquer le fils. Il prétend être parti pour Niflheim pour l'université. Il est trop brillant pour ne pas faire un grand métier. C'est pas un vrai métier de jouer sur une scène. C'est fini les petits loisirs de jeunesse, comme son père désigne si gentiment sa passion. Il est empêtré dans une mélasse, quelle galère. Son rêve c'est plutôt d'intégrer une école de théâtre maiiiis… C'est trop cher. A payer lui-même en tout cas. Il se le garde bien pour lui, qu'il a envie de faire ça.

Il se contente de petits-boulots. Il économise un maximum (le tout dans le dos du paternel). Il se sent déjà mal que son père insiste à payer son loyer du temps qu'il soit à la fac. Sa famille est aisée, mais il le vit mal. Il s'est éloigné pour se libérer et commencer à 0 mais tout ne se passe pas tout à fait comme prévu.

« Mais c'est quoi ça encore, vous étiez comme les deux doigts de la main avant ! Je sais pas quel genre de problème il y a entre vous mais ravalez un peu votre fierté et sortez au bar un soir, ça resserre les liens ! »

Le plus jeune se détend enfin. Son père a raison. Il avait besoin d'entendre ça. Il n'est jamais trop tard pour présenter ses excuses et essayer de recoller les morceaux.

« On devrait faire ça, t'as raison papa. »

- Bien sûr que j'ai raison haha ! »

- C'est beaucoup moins poétique et sage quand tu dis des trucs pareil après. T'étais pourtant bien parti. »

A ces mots les deux les deux se mettent à rire. Charlie a trouvé sa résolution pour la nouvelle année à venir : être lui-même. Maintenant ça suffit les conneries. Il commencera par dire ce qu'il a sur le cœur à ceux qu'il aime. Enfin… Quand il en aura le courage.