[Rhys] A thousand Dreams within me softly burn

Il y a des choses que tu as toujours sues.

Par exemple que tu voulais être prof.

Prof de quoi?

Tu ne le savais pas encore, tu savais juste que tu voulais être prof. La littérature est venue beaucoup plus tard. T’es né à Londres. T’es parents et surtout ta grande-sœur, qui a fait ce même choix de carrière, t’ont toujours encadré. T’as eu une enfance particulièrement choyée. Famille nucléaire, éducation saine en étant juste assez gâté. À l’adolescence, tu étais populaire avec filles ou garçons, mais t’as jamais eu de préférences. Si tu pouvais avoir les deux, beau salaud, alors t’en profitais. T’étais bon en sport, charismatique, drôle, charmeur, t’avais beau être à chier en math, ça ne t’empêchait pas de faire partie de l’aide au devoir en Anglais et d’être un pro en cours de langues. Plus vieux, t’es devenu adepte des salles de sport et des bibliothèques. Tu as fait partie de ces jeunes chanceux dont les parents ont une épargne études pour leurs enfants, donc t’as fini l’université en faisant ce que tu voulais. T’as eu un job presque immédiatement après ton stage en enseignement à tes 28 ans.

Parmis les choses que t’as toujours sues aussi : La cigarette c’est pas bon pour toi.

Alors que tu vois la traînée de fumée de ta vapoteuse sans nicotine, aussi toxique que s’il y en avait, tu te demandes quand tu arriveras à tuer ce réflexe chez toi, quand fumer ne sera plus un exutoire pour ton stress et ton anxiété que tu maîtrises à peine. Comme ton pouvoir de Reload. Reload. C’est le mot que la mort a utilisé pour toi en t’expliquant sur son ton ironique ton pouvoir et les quelques règles qu’elle t’imposait. T’étais encore en état de choc à l’époque quand tu l’as rencontrée alors tout s’est passé très vite.

C’était comme te réveiller en sursaut d’un horrible cauchemar avec la douleur qui allait avec. C’était à se demander si dans cette ruelle obscure où t’étais étendu, t’avais été réellement été agressé parce que t’avais juste moins mal. C’était collant, la vision sordide de ton sang duquel tu te vidais avant ton supposé trépas t’avais éberlué. Tu te souviens de l’expression dérangée de Stef, ton étudiant, que tu rejetais pour la seconde et dernière fois avant qu’il ne te poignarde. Il avait été doux, subtile, et là il était agressif. Tu n’avais pas pris ses menaces au sérieux, alors quand le couteau s’est enfoncé dans ton abdomen, t’as été surpris. Quand il t’a attrapé par l’épaule, t’a forcé à te pencher pour mieux t’embrasser et qu’il s’est mis à te poignarder à répétition, sept coups pour être précis, tu t’es vidé de ton sang en un gargouillis horrible.

C’était un meurtre passionnel.

T’aimais assez les romans policiers pour en reconnaître un.

Et tu vapotes en te remémorant l’air abasourdi de ton étudiant, de ton meurtrier, comme s’il ne s’était rien passé, comme s’il n’avait rien fait. Sa manière de lâcher le couteau ensanglanté. Il a cherché à t’aider, a appelé une ambulance désespérément, quand bien même il t’avait tué, c’était comme s’il ne s’était absolument rien passé dans sa tête. Ton meurtrier est devenu ton sauveur.

Aussi bien dire que t’as été hospitalisé.

Longtemps.

Les preuves étaient accablantes contre Stef qui ne se souvenait visiblement de rien. Il a été arrêté et quand t’as été assez en forme, t’as témoigné sous son regard abasourdi. Tentative d’homicide volontaire. Il a plaidé coupable pour avoir une peine réduite de 19 ans dont 10 ans fermes avant possibilité de libération conditionnelle. Et toi, tu t’es retrouvé paniqué à l’idée qu’un jour il puisse sortir de prison et recommencer, ton ventre scarifié et ta mémoire comme seuls témoins de l’horreur. Le jury t’avait aimé que ton avocat t’avait dit. Tu les avais séduits. Comme tu l’avais séduit lui, comme t’avais séduit Stef. Même l’avocat de ton étudiant avait donné un plaidoyer en ta faveur. Et ça leur avait semblé… normal? C’est là que tu t’es souvenu de ce pouvoir particulier, utilisé à ton insu. Que tu as réalisé que ces fréquentes migraines qui te ramenaient constamment à la clinique où tu finissais sous perf, n’arrivaient que lorsque tu croisais des gens et que ceux-ci semblaient intéressés par ta personne.

Tu as les coudes apposés sur la rambarde du balcon attenant à ton bureau, l’air rêveur. Tu apprends à maîtriser cette partie de toi maintenant. Les migraines sont moins fréquentes, mais t’évites les foules. La fraîche s’est installée, mais ça ne t’empêche pas de ne sortir que dans cette ample chemise. Tu penses à ta grande sœur, à tes parents qui t’ont épaulé comme ils l’ont toujours fait, qui t’ont suivi, qui ont financé l’aide psychologique dont tu avais besoin quand tu as été incapable de travailler. T’as essayé de retourner en classe pour reprendre tes cours, mais c’est à coup de crises de panique répétées que tu t’es retrouvé sur l’assurance emploi.

Puis comme tu n’arrivais pas à retourner travailler dans ton domaine et que l’assurance emploi n’était pas infinie, t’as fini par chercher des petits jobs pour ne pas toucher à ton épargne et tes comptes d’économie. Toi qui séduisais si facilement t’es retrouvé à travailler près de six-mois dans un dépanneur Londonien quand on t’a offert un job d’hôte dans un bar loin de cette ville où t’as été tué. Ross, le vieux propriétaire était charmant, et il t’a convaincu. De l’argent facile, de l’alcool à flot pour oublier ton mal interne. Comme pour fuir cette partie de toi, tu as accepté de suivre cet inconnu dans cette nouvelle aventure à Niflheim. T’as puisé un peu dans tes économies pour trouver un appartement correct mais petit. Puis t’as commencé un job où tout te venait avec naturel et migraines. T’es vite devenu le numéro un, le plus demandé des hôtes. Quand le boss, trop vieux pour continuer d’opérer a annoncé la vente du bar, deux ans après ton arrivée, tu ne t’es pas privé. T’as demandé l’aide de tes parents et t’as dilapidé tout ce que t’avais pour lui racheter.

La vente finalisée, t’as exploité une fibre que tu ne te connaissais pas, celle d’un entrepreneur et tu t’es enfermé dans un bureau loin des gens pour éviter les migraine et de l’insécurité que cause ton emploi, cette personnalité que tu t’es inventée pour un boulot. Au grand plaisir de tous tes employés, t’as disparu de la carte en tant qu’hôte.

Aujourd’hui, les affaires vont mieux, comme t’as galéré au début. Tu gères le bar dans l’ombre, ne sortant de ton bureau que pour saluer les plus fidèles clients, lorsqu’il y a des problèmes, un anniversaire ou quelque chose d’important. Tu as remboursé tes parents et t’as même ta propre voiture, une belle Tesla qui va avec tes valeurs penchées sur l’économie et l’écologie. T’es fier de ce que t’as atteint, mais t’as toujours peur, t’es terrifié en fait. T’es insécure par rapport à tes réels charmes et ça te rends réservé même si t’es autoritaire et ferme en tant qu’employeur. Tu ne sais cependant pas si jamais on va un jour encore t’aimer pour qui tu es vraiment. T’es donc détaché de la romance, tu priorises les aventures d’une nuit qui ne comblent pas ton vide intérieur.