I just want to find my place ~ Maximilian Thropy

Je suis né il y a 19 ans, durant le mois de juillet de l’an 2000, après environ une année entière de mise en couveuse. J’ai eu la chance de rejoindre une famille tout ce qu’il y avait de plus banale. Deux pères, un chien, un chat… même deux chats à vrai dire sur une période. A la base, mes pères n’étaient pas vraiment faits pour être ensemble. Durant leurs jeunesses, ils étaient surtout des meilleurs amis. Mais comme leurs parents faisaient partie de la dernière génération à avoir pu fréquenter des femmes de manière régulière, ils ont dû… s’adapter pour continuer à vivre. J’étais sans doute le plus étrange de la famille puisque j’avais défié la loi en naissant garçon. En effet, respectivement à la législation concernant les premiers enfants du couple par couveuse, mes pères avaient demandé une fille comme enfant. Or, je suis bel et bien né garçon. Probablement une erreur de conception lors de la création de mon ovule. Ou un imprévu lors de sa fécondation. Cela eut pour conséquence que j’ai vécu un moment avec des affaires pour fille. Heureusement pour moi, elles furent assez vite échangées avant que je ne doive aller à l’école. Avant même que je ne puisse m’en souvenir en fait.

Tant que j’en suis à parler de l’école, je vais en profiter pour passer cette période aussi vite que possible. De base, il n’y a pas grand-chose à dire en fait. J’étais le petit garçon… qui ne faisait rien de spécial. J’étais plutôt moyen durant les premières années, je faisais le moins d’effort possible mais tâchais de réussir. Quant à mes amis… je vous répondrais… bah… « quels amis ? » en fait… Dans la cour de récréation, je restais assis, sur un banc, dans mon coin et je regardais les autres jouer au foot. Nombre d’entre eux espéraient sans doute devenir des joueurs professionnels. Ils réussissaient mieux là-dedans que dans les cours en tout cas. Moi je me demandais pourquoi est-ce qu’ils avaient l’air de tous se connaître depuis avant leur naissance. Ils se parlaient si naturellement entre eux.  A côté, j’avais l’impression que si j’allais leur dire « bonjour ! », ils allaient se mettre à rigoler et me fermer leur cercle. Alors je ne leur disais rien… au moins leur cercle restait ouvert.

Je n’ai vraiment eu que deux amis durant mon enfance. Le premier c’était Calif, mon petit yorkshire. Malheureusement, on a vite perdu les deux chats. Le deuxième s’est enfui – à cause de Calif - , le premier a été retrouvé inanimé près du bureau d’un de mes pères. Ainsi, Calif est celui qui est resté le plus longtemps à mes côtés, posant sa tête sur mes jambes quand je rentrais de l’école. Mon deuxième ami n’était autre que mon cousin. Je ne révélerai pas son nom par respect, mais appelons le Buzz. Ce nom aura peut-être une dimension étrange pour vous, mais pas pour moi. Si je souhaite l’appeler Buzz, c’est parce que quand j’allais chez lui pour jouer, il me passait sa figurine Buzz l’éclair lorsqu’on était dans le bac à sable. Lui il prenait sa figurine Son Goku Super Sayan 1 et on jouait à se battre. J’étais un peu jaloux parce que je préférais largement ce personnage. J’étais pas fan de Toy Story. Mais comme c’était ses figurines, je ne disais rien.


Mon truc à moi, c’était les dessins animés remplis de super-héros, comme Dragon Ball, les tortues ninja, spider-man. J’aimais bien pokémon aussi. Je rêvais d’être cette personne qui se surpassait constamment pour sauver le monde et ses amis. C’est pour ça qu’un jour un de mes pères m’a retrouvé à pleurer sur mon lit pendant la nuit. Cela faisait plusieurs mois que je priais Dieu pour qu’il me donne des super-pouvoirs. Je ne prévoyais rien de mal avec ! Je voulais juste sauver des gens pour qu’on arrête des nouvelles tristes à la télévision. Au moins, cela serait les autres qui auraient voulu devenir ami avec moi, cela n’aurait plus à être moi qui faisait le premier pas. Bien sûr, je ne lui ai jamais donné ce détail. Cette nuit-là fut la dernière où j’ai demandé quoi que ce soit à Dieu.

C’est lors de ma dernière année dans cette école que j’ai commencé à me faire des amis. Enfin, le meilleur terme serait sans doute « potes ». C’était des gamins qui venaient d’arriver. Ils avaient cinq ans de moins que moi. Mais pour la plupart d’entre eux j’étais cool. Je pouvais leur donner plein de pokémons super-puissants venant des versions que j’avais déjà terminées. J’étais comme un précurseur qui avait déjà fait tous les combats pour qu’ils n’aient plus à les faire. Etrangement, mes notes ont commencé à monter durant cette année. J’étais même devenu premier de classe. Petit à petit, j’avais l’impression qu’être moi-même pouvait suffire à réussir.

Malheureusement, j’ai déchanté l’année suivante. Je passais en secondaire et j’avais l’impression que tout recommençait à zéro. Les potes que je m’étais fait n’étaient pas près d’arriver dans cette école avec cinq ans de retard sur moi. Encore une fois, je voyais des élèves qui semblaient se connaître depuis toujours. Sauf que cette fois, ce n’était pas juste une impression. Je savais qu’ils se connaissaient d’avant puisqu’ils venaient de la même école que moi. Enfin pas tous de la même école. Mais l’échantillon sur lequel je basais cette information, oui. Alors pendant encore six années de plus, je suis resté l’enfant bizarre qui restait assis dans son coin avec sa nintendo à regarder les autres enfants de loin.

Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir fait une nouvelle tentative. En effet, je me disais que quitte à commencer dans une nouvelle école, peut-être était-il temps que j’essaie d’avoir une nouvelle image ? Alors, avec mes pères, je suis allé chez un coiffeur pour me teindre les cheveux. Il n’était pas super emballé mais n’étaient pas non plus contre. Cela faisait déjà un moment qu’ils croisaient des jeunes avec des cheveux au style varié. Au pire, une teinture n’était que temporaire et si cela n’allait pas, cela pouvait s’arrêter. Pour ma part, je les avais fait teindre en vert, pour les accorder à mes yeux. J’espérais que cela attire le regard des autres élèves pour qu’ils s’intéressent à moi. Cela avait effectivement attiré leur regard, mais simplement pour qu’ils m’accordent un petit surnom bien précis : « tête de cactus ». Ca avait failli me faire abandonner, mais en ce qui me concernait, j’aimais bien mes cheveux ainsi. S’ils n’aimaient pas, cela ne changerait rien à mes années précédentes. Je les portais donc fièrement, quitte à ce que ma vie ne change pas. Je vivais ma propre aventure.

Heureusement, ma remontée lors de l’année précédente avait réussi à m’offrir de bonnes bases pour commencer ces années de secondaire. J’avais réussi à maintenir mes bonnes notes et évoluer dans les matières scientifiques. Je parvenais même à m’intéresser à la biologie et à l’histoire. Je n’en revenais toujours qu’un virus ait réussi à faire disparaître la quasi-totalité des femmes de la planète. A vrai dire, quand on parlait de femmes en classes, j’avais l’impression d’entendre parler d’une mythologie lointaine, comme l’une de celles qui étaient supposées expliquer l’origine du monde. Mais plus j’en entendais et moins je croyais en Dieu, jusqu’à ce que je n’y croie plus du tout. Tout le monde en classe perdait peu à peu l’espoir de rencontrer le sexe féminin dans sa vie. C’était plutôt compréhensible, les probabilités qu’on en rencontre ne serait-ce qu’une était proche de zéro. Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de fantasmer sur ce corps que l’on nous présentait dans les cours de reproduction. Je crois que les adultes aussi avaient dans l’espoir de voir réapparaître des femmes. Mais cela ne se ferait pas du jour au lendemain et honnêtement… je me demande si on ne verra pas la disparition de l’espèce avant leur retour.


Pendant ce temps-là, Buzz avait bien avancé dans sa vie. Comme il avait quelques années de plus que moi, il avait déjà terminé l’école. Il était même devenu menuisier depuis. Non, il n’avait pas décidé de poursuivre des études, ce n’était pas son genre. Il aimait bien les résultats instantanés et l’idée de passer encore plusieurs années sur un banc d’école ne l’attirait pas du tout. Je ne pouvais que le comprendre, mais je ne savais même pas ce que je voulais faire, même si j’avais quelques idées. Mais Buzz lui, il faisait partie des chanceux. Si si, vous voyez de quels chanceux je parle. Oui, ces chanceux. Il avait rencontré une femme et il était parvenu à former un couple avec. Tout le monde se demandait comment il avait fait. Où il était allé pour la trouver. Tout le monde en était jaloux. Au point qu’ils en étaient à faire des blagues sur le fait qu’il devrait partager. Pas moi. C’était pas vraiment mon genre de blagues. Et même si j’étais en effet un peu jaloux de sa chance, j’étais content de savoir qu’il avait eu cette chance.

Je me suis finalement décidé pour les études que j’allais faire. Je n’étais pas très doué quand il était question d’avoir des relations sociales, alors l’année suivante, je me suis inscrit dans une branche où cela ne m’handicaperait pas pour mon avenir : l’ingénierie informatique. Mais je n’aurais jamais cru que cette année serait la plus dure de toute ma vie. De la même manière que j’avais eu des facilités à suivre en cours durant mes secondaires, je réussissais les cours sans le moindre mal. Mais alors que je revenais d’une conférence pour les cours, j’assistais au décès de Calif qui agonisait dans son panier. Son âge vénérable l’avait rattrapé, après quinze ans à mes côtés. Nous avons dû l’amener chez un vétérinaire pour arrêter son supplice. Nous n’avons jamais jeté son panier, mais un pincement au cœur me prend à chaque fois que je passe devant, le constatant vide.

Si seulement l’année avait pu s’arrêter là. Quelques mois plus tard, la seule femme que j’aurais pu avoir la chance de rencontrer nous fit faux bond à moi et à ma famille. Alors qu’elle était en route vers chez nous avec mon cousin à ses côtés, un daim se mit sur sa route. Elle tenta de dévier, mais finit par s’encastrer dans une voiture qui venait de face, emportant Buzz avec elle. Nous l’avons appris vers 23h. Personne n’en a dormi de la nuit. Son père ne s’en est jamais remis. Moi-même je ne suis pas sûr de m’en être remis. J’avais hérité de sa figurine Son Goku dont j’avais eu tant envie, mais elle me laissait un goût particulièrement amer dans la bouche. J’aurais préféré récupérer mon cousin, mon ami que d’avoir ce bout de plastique. Mais je le préservais en son hommage. J’ai été incapable d’aller en cours pendant un mois et demi suite à cela. Et plusieurs fois, j’ai songé à abandonner. Tous les jours, pour dire vrai. Comment aurais-je pu terminer mon année dans ces conditions de toute façon ?


Pourtant, je suis retourné en cours. Non pas sans avoir de mauvaises pensées. Mais en vérité, ces cours me faisaient du bien. Dès que ça commençait, je pouvais me concentrer sur une seule chose qui n’était ni Calif ni Buzz. L’avance que j’avais pris avant mon absence semblait avoir compensé une bonne partie du retard pris. J’ai rapidement pu récupérer ce que j’avais manqué et heureusement puisqu’on arrivait aux examens pour passer à l’année suivante. Ça m’aidait à regagner doucement confiance en moi, jusqu’à ce que je réussisse chacun des examens. Ce n’est pas moi qui y aurais cru quelques mois auparavant, je me voyais déjà recommencer mon année. Mais je n’allais définitivement pas me plaindre de ne pas perdre une année. A contrario, je savais que tout le monde n’en était pas heureux. Ma réussite avait fait des jaloux parmi ceux qui avaient raté sans avoir une aussi longue absence que la mienne.

Alors que je rentrais chez moi après l’annonce des résultats, j’envoyais un sms à mes pères pour les prévenir, mon certificat sous la veste. Je vis alors une main se jeter sur mon téléphone pour me l’arracher des mains. Une bande d’élèves qui partageaient mes cours, visiblement avec quelques verres dans le nez, mais qui n’avaient pas tous eu ma chance. Ils se le jetaient l’un à l’autre, comme espérant que je me jette sur eux pour le récupérer. Ils courraient en s’éloignant de moi… Est-ce qu’ils espéraient que les suive peut-être ? Ce n’était pas vraiment mon genre. Ne tombant pas dans leur piège, je restais appuyé contre l’aubette en attendant mon bus. Au pire, ce n’était qu’un téléphone. Quelques minutes plus tard, j’entends une voix m’appeler par mon surnom « tête de cactus ».

Je tourne alors ma tête dans la direction de la voix, je vois un des garçons du groupe, seul, mon téléphone entre ses mains qu’il me lance. Ils devaient avoir été déçus que je n’entre pas dans leur jeu. Pour moi, c’était une victoire. J’ai levé le bras et ai reculé, m’étendant en arrière pour attraper l’appareil qui m’était lancé. C’est à ce moment que j’ai entendu un klaxon de voiture à proximité. J’ai pris une grande inspiration et un clignement d’yeux plus tard, je sentais mon bras se faire percuter et se briser par la même occasion. Il en ressortait en morceaux, les os dépassant de la peau. Le groupe des autres étudiants ne mirent pas beaucoup de temps avant de s’enfuir, craignant sans doute que j’ait été tué sur le coup et que la faute leur retombe dessus. Heureusement, l’ambulance ne mit pas longtemps à arriver et je finis par rentrer chez moi avec un plâtre quelques temps plus tard.