It will be the very last time.

Encore une journée.
Encore des insultes. Des coups.
Encore une journée de torture.

« Laissez-moi… »

J’ai 13 ans, je suis en 4ème et je m’apprête à me rendre à mon cher collège. Comme vous avez pu le remarquer, c’est un réel plaisir. Evidemment, quand t’arrives là-bas, qu’on te pointe du doigt parce que t’es en surpoids, que t’as des soucis de peau et les dents non alignées, tu te douteras que c’est pas réellement une partie de plaisir. Au contraire, c’est plutôt un supplice. Plusieurs fois, j’ai déjà pensé à en finir… Mais ça, ce serait les laisser gagner. Je peux pas faire ça. Je dois être fort.
Ouais, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Une fois arrivé, comme prévu, je suis comme une bête de foire : tous les élèves me fixent, j’entends des rires qui fusent de part et d’autre de la cour… Génial. Extérieurement, je suis neutre, je ne montre rien de mon mal-être. Mais intérieurement… J’ai envie d’hurler. Je fais à peine quelques pas que l’instant d’après, je me retrouve contre le bitume de la cour, la tête dans une flaque d’eau.

« Gros sac ! »
« Regarde où tu mets les pieds, sale porc ! »
« Tu sers à rien ! »
« Tu ferais mieux de mourir ! »

La même rengaine, tout le temps, tous les jours. Je me relève tant bien que mal et marche jusqu’à la salle où mon premier cours se passe.


De retour à la maison, je m’installe près du foyer afin de me réchauffer. Mais cet instant de réconfort est de courte durée… Arrivent ma mère d’origine française et mon père d’origine anglaise, dans leurs fringues éclatantes, toutes plus hors de prix les unes que les autres, sans parler de leurs corps sveltes et bien entretenus… Soit disant, c’est héréditaire. Ben bien-sûr. Pourtant, j’ai beau manger correctement, j’ai l’impression de prendre 500 grammes à chaque grain de riz que j’avale. Et le pire, dans tout ça, c’est que mes adorables parents ne m’aident pas. Ah ça non, pour quoi faire ? Je suis un grand, j’ai 13 ans, je suis censé être autonome. Certes, je le suis en règle générale, notamment avec mes devoirs où je suis le premier dans toutes les matières. Je suis même en avance sur le programme. J’ai facilement le niveau d’un seconde. Ben ouais, à défaut de ne pas avoir d’amis, ni de parents aimants, je m’instruis. Ça me plaît. Et puis ça me permet de m’évader, ne serait-ce qu’un instant. Ne plus penser aux moqueries. A mon mal-être. A mon manque de confiance en soi… Mais soyons honnêtes, ce n’est pas à un gosse de 13 piges de prendre lui-même rendez-vous chez un médecin, ce n’est pas à un garçon de cet âge de toujours être obligé de faire attention à ce qu’il mange…
Mon enfance, elle est passée où ? Hein ?

Envolée.
Merci « Papa ».
Merci « Maman ».

Me revoilà maintenant à 17 ans. Je suis en Terminale Scientifique dans un lycée anglais renommé. J’ai grandi, j’ai pris une dizaine de centimètres, mon acné, c’est de l’histoire ancienne, et j’ai commencé la muscu’. J’dois dire que ça me plaît plutôt pas mal. Et puis, je commence à voir ses effets : je perds de la masse. Il était temps ! Mais ça, ça n’aura pas été grâce à mes parents. D’ailleurs, je n’ai rien à leur remercier, puisque je me suis construit tout seul, de A à Z.
J’arrive au lycée, aujourd'hui c'est journée de rentrée. J'adopte une attitude blasée qui est devenue mon quotidien. Rien ne se passe… Bizarre. Je regarde autour de moi, et vois à mon grand étonnement que personne ne rit en me regardant. Mince alors, je m’étais presque habitué à ça. Tu m’diras, depuis le temps…
Je marche, lorsque soudain je percute quelqu’un de plein fouet, faisant tomber les feuilles que je tenais par terre. Merde, manquait plus que ça. Fronçant les sourcils, je m’accroupis pour ramasser les documents lorsque je vois que la personne dans laquelle j’ai foncée se baisse aussi. Intrigué, je lève la tête vers mon interlocuteur… Et le fixe. Et dieu qu’il était beau. Il me dit :

« Attends, je vais t’aider, bouge pas. »

Hein ?

J’avais l’impression de rêver. Première fois de ma vie qu’on me venait en aide. Même s’il était beau comme un ange, je restais perplexe. Ça cachait quelque chose. Ne comprenant pas, j’esquissai un mouvement de recul, pris tous les documents d’un coup et répondit d’une voix sèche :

« Pas la peine, j’ai pas besoin de toi. Laisse-moi tranquille. »

Sur ces mots, je me levai et partis, traçant mon chemin sans remercier le jeune homme qui avait osé venir m’aider. Je m’en voulais, sincèrement. Quand j’étais au collège, j’avais tendance à être celui qui aidait tout le monde pour éviter de me faire taper. J’en étais arrivé là. C’est grave, hein ? Et maintenant, tout ça, c’était terminé. Plus de « trop bon trop con ». Chacun sa merde. Je préfère être seul que mal accompagné.

Le soir venu, je quitte du lycée et entame le chemin du retour seul, comme à l’accoutumée, dans la pénombre. J’avais mes écouteurs, j’écoutais ma musique préférée, celle qui me permettait de vivre, ou plutôt survivre à cette cata qui me servait de vie. Mais bien-sûr, jamais je ne pouvais passer une journée sans souci. C’est ainsi qu’un autre élève de mon lycée, Isaac ou celui qui est au courant de tout ce qui se passe au lycée et qui cherche les embrouilles sans arrêt, accompagné de toute sa clique, me bloquèrent le passage et me plaquèrent contre un mur. Je plantai mon regard dans celui qui était presque en train de m’étouffer, sans ciller. Ras le bol de laisser le monopole aux autres. Avec un sourire mauvais et une odeur de drogue émanant de sa cavité buccale, il me lança :

« Alors, Thomas Gardner, on repousse ceux qui veulent t’aider ? T’es con, ou quoi ?

- Ta gueule, Isaac. Tu sais pas de quoi tu parles, alors mêle toi de ton cul, ça vaudra mieux.

- Mais c’est qu’il joue le grand, le gringalet ! On va te montrer ce que ça fait de nous manquer de respect ! Dit-il en lâchant un rire désagréable, avant de m’assener un coup de genou dans le ventre. »

Je serrai les dents, j’essayai d’encaisser sans broncher, mais je ne pus pas. La douleur était trop lancinante. Je lâchai donc un grognement de douleur, ce qui eut pour effet d’accroître la sauvagerie qui animait le groupe. Ah, le groupe… C’est bien connu, personne n’a assez d’attributs masculins pour s’en prendre à quelqu’un qui est seul. Non, bien-sûr, on se sent pousser des ailes quand on vient avec sa bande de toutous. Déplorable.

En rentrant à la maison, personne ne prit de mes nouvelles. En même temps, venant de mes parents, ça aurait relevé de l’exploit. Et puis mon cousin, le seul et l’unique, celui avec lequel je jouais lorsque j’étais enfant, le seul qui m’acceptait comme j’étais… Il n’en est plus. Contrairement à moi, il a une facilité déconcertante à se faire de nouveaux amis et en plus de ça, il est gentil, drôle, enfin bref, le p’tit gars parfait. Et pourtant, il a préféré privilégier sa réputation à l’école et de ce fait me laisser en plan plutôt que de se fiche de l’avis des autres et m’aider. C’est vrai que l’avis de quelqu’un qu’on ne connaît absolument pas compte bien plus que celui de quelqu’un que tu connais depuis sa naissance. L’accumulation de tous ces événements, c’était trop. Il fallait que j’en finisse. Je me dirigeai vers l’armoire à pharmacie, pris plusieurs boîtes de médicaments puissants et allai dans ma chambre. J’entrepris de fourrer plusieurs gélules dans ma bouche et les avalai cul sec après avoir pris une gorgée d’eau. Je m’installai ensuite sur mon lit et après quelques instants me mis à tousser puis me plier en deux, tellement la douleur était violente. Et après de longues minutes d’horrible souffrance, plus rien. Je ne ressentais plus rien du tout. Cette sensation était étrange : je vivais sans réellement vivre. Puis, face à moi, deux points rouges se mirent à scintiller, et j’aperçus… La Mort elle-même. Irréel, et pourtant.

Les dix minutes suivantes, je m’entretins avec elle. Et, sans vraiment savoir pourquoi, elle décida de m’accorder une nouvelle chance. Mais pour quoi faire ? J’en voulais pas, moi, de son aide ! Je voulais pas y retourner ! Tch, quelle sadique… J’suis sûre que tout ce qu’elle voulait, c’est que je souffre encore un peu plus longtemps histoire de m’achever comme il se devait.
Suite à cet entretien, je repris peu à peu conscience, bien que difficilement, et eus une quinte de toux épouvantable. J’ai bien cru, à cet instant, que j’allais littéralement recracher mes poumons. La douleur, elle, était moitié moins insupportable. C’était étrange… Mais d’un côté, j’en étais heureux, ça allait m’éviter de rester cloîtré au lit pendant je ne sais combien de temps.

Après avoir passé plusieurs jours à vomir mes tripes et à être faible, j’ai réussi à me rétablir. A partir de ce jour, je me promis que je ne laisserais plus personne s’en prendre à moi et m’humilier de la sorte. Pour se faire, il fallait donc que j’obtienne mon diplôme de fin de dernière année de lycée et à partir de là, je me mettrai sérieusement au sport. Je deviendrai fort, et je ne me laisserai plus marcher sur les pieds. Par contre, je serai plus froid qu’un glaçon, et je ne laisserai jamais quelqu’un se rapprocher trop de moi.


Et me revoilà à 23 ans, à l’heure actuelle. Je vis actuellement à Niflheim, seul, dans un petit appartement tranquille non loin du centre-ville pour plus de praticité. Je suis étudiant en psychologie, et honnêtement, c’est intéressant, ça me plait bien. D’un côté, ce métier me tient à cœur puisque ça pourrait me permettre d’aider les gens et plus particulièrement les ados qui passent par le même chemin que moi. Ensuite, niveau relations humaines, ben… C’est pas folichon. Personne dans ma vie, j’ai tiré un trait sur mes parents, je n’ai plus aucune nouvelle de mon cousin, j’ai pas d’amis, je suis seul. Et pour être honnête, ça me va pas si mal. Au moins, je ne souffre pas sans arrêt. Bon, il est clair que malgré la haine que j’ai envers mes parents et mon cousin, j’ai aussi un énorme manque d’affection. Ouais, j’avoue. Et même si j’aime pas que les gens se rapprochent trop de moi et que j’ai vécu des choses horribles par le passé, je ne peux m’empêcher d’aider les personnes dans le besoin, ou en détresse. J’ai beau lutter contre ce que je suis réellement, le naturel revient toujours au galop. Et puis d’un autre côté, c’est pas si mal d’avoir un cœur après tout ce que j’ai accumulé. Ça montre que je suis plus intelligent qu’eux. Je ne fermerai jamais mes portes à quelqu’un qui a besoin d’aide. Je veux donner ce que je n’ai pas reçu, et peut-être… Redonner le sourire aux autres ?